Google revient sur le marché des réalités virtuelle, augmentée et mixte (VR/AR/MR) avec l’annonce d’Android XR, un système d’exploitation dédié. Cette annonce s’inscrit dans une compétition stratégique où chaque géant de la tech cherche à imposer “la prochaine grande plateforme”, celle qui remplacera peut-être nos smartphones.
Un contexte de domination fragmentée
Aujourd’hui, les GAFAM se partagent les plateformes majeures :
- PC : Microsoft domine largement, avec Apple en challenger.
- Smartphones : Google est leader via Android, mais Apple s’en taille une part significative avec iOS.
- Services divers : Amazon s’est diversifié (liseuses Kindle, Fire TV, Prime Video, etc.) et Microsoft brille avec Xbox côté gaming.
Meta, en revanche, est le seul GAFAM à ne pas posséder de plateforme propre. Ses services (Facebook, Instagram, WhatsApp) dépendent des écosystèmes d’autres acteurs. Une dépendance frustrante pour une entreprise de cette envergure, comme le souligne Peter Thiel dans sa célèbre maxime :
« La concurrence, c’est pour les losers. »
Pour un GAFAM, la véritable ambition est de dominer une plateforme clé, car :
« Le capitalisme et la concurrence sont antithétiques. »
Mark Zuckerberg illustre parfaitement cette philosophie. Meta est fortement dépendante des plateformes de Google (Android) et Apple (iOS), ce qui l’expose à des décisions externes pouvant affecter ses services. Cette situation est devenue particulièrement critique lorsqu’Apple a modifié ses règles de confidentialité, impactant directement les revenus publicitaires de Meta.
Cette même tension réapparaît aujourd’hui dans un contexte législatif. Comme le souligne un récent article de Numerama, Apple s’inquiète des régulations européennes visant à imposer l’interopérabilité des stores d’applications. Selon Apple, ces mesures pourraient affaiblir les protections de confidentialité en permettant à des tiers (comme Meta ou d’autres acteurs) d’accéder plus facilement aux données des utilisateurs.
La stratégie de Meta : tout miser sur les lunettes AR
Mark Zuckerberg investit massivement dans les technologies XR, convaincu que les smart-glasses remplaceront un jour les smartphones.
- Après le rachat d’Oculus, Meta a lancé plusieurs casques VR/MR avec la gamme Meta Quest, vue comme une étape vers des lunettes AR.
- Le pari est colossal : plusieurs centaines de milliards de dollars ont déjà été investis, car s’imposer sur cette nouvelle plateforme signifierait que les autres GAFAM dépendraient de Meta.
Une guerre technologique en plein essor
D’autres acteurs se positionnent également sur cette course à la plateforme XR :
- Apple a lancé son Vision Pro cette année après une décennie de R&D. Sa stratégie ? Ne sortir que des produits entièrement maîtrisés et “parfaits” dès leur lancement.
- Microsoft, avec Hololens, a abandonné le marché grand public après un échec relatif, se concentrant uniquement sur des usages spécifiques (notamment militaires).
- Google avait tenté avec les Google Glass il y a 10 ans, mais revient aujourd’hui dans la course avec Android XR pour ne pas rater cette opportunité stratégique.
Une analyse intéressante des enjeux de souveraineté numérique : l’exemple de Linx
Les lunettes META Orion et la compétition mondiale autour des technologies XR mettent en lumière un problème central : la souveraineté numérique, et en particulier, la place de l’Europe dans ce paysage dominé par les États-Unis et la Chine.
1. La dépendance technologique actuelle
Aujourd’hui, les grandes plateformes et la majorité des composants clés (comme les micro-OLED ou les semi-conducteurs) proviennent des écosystèmes américains ou asiatiques. Cela rend les acteurs européens tributaires de chaînes d’approvisionnement internationales sur lesquelles ils n’ont que peu de contrôle.
Même pour des entreprises innovantes comme Linx, cette situation implique de dépendre de fournisseurs étrangers pour les composants critiques nécessaires à la fabrication de dispositifs XR.
2. L’importance des acteurs européens comme Linx
Linx, un fabricant européen de dispositifs XR, joue un rôle clé dans cette quête de souveraineté :
- Une approche intégrée : Contrairement à d’autres entreprises européennes qui se concentrent uniquement sur les logiciels, Linx développe à la fois le hardware (casques et lunettes XR) et l’OS (système d’exploitation), ce qui leur permet de maîtriser toute la chaîne de valeur.
- Lobbies et partenariats : Linx travaille à sensibiliser les institutions européennes pour promouvoir une vision plus ambitieuse de l’industrie XR. En collaborant avec des organisations comme l’Agence Spatiale Européenne et en formant des partenariats, Linx démontre qu’il est possible de maintenir une expertise technologique en Europe.
3. Les défis à surmonter
Cependant, comme le souligne la vidéo, plusieurs obstacles freinent la souveraineté technologique en Europe :
- Manque de systémier européen : L’Europe a perdu des capacités essentielles à assembler et concevoir des plateformes intégrées (comme le font Apple ou Huawei). Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises européennes ne produisent que des « briques technologiques » sans capacité à les intégrer.
- Investissements limités : Alors que des géants comme Meta ou Apple investissent des dizaines de milliards dans la R&D XR, les acteurs européens peinent à mobiliser des financements suffisants pour rivaliser.
- Enjeux culturels : Le hardware est souvent perçu comme « trop risqué » ou « trop complexe » par rapport au logiciel, ce qui freine les initiatives en Europe.
4. Cybersécurité et confidentialité : Le lien avec les régulations européennes
L’article de Numerama montre que la question de la souveraineté numérique dépasse les seules technologies XR. Les régulations européennes sur l’interopérabilité des stores et le contrôle des données illustrent la complexité d’un équilibre à trouver entre innovation, sécurité, et souveraineté.
- Interopérabilité vs sécurité : Tout comme les lunettes XR, ces écosystèmes ouverts doivent intégrer des principes de “security by design”. Sans cela, l’ouverture pourrait affaiblir la confidentialité des données des utilisateurs.
- Normes européennes : L’exemple des XR et des stores montre que l’Europe a un rôle à jouer en imposant des standards stricts pour éviter que des acteurs comme Meta ou Apple ne dominent entièrement les écosystèmes numériques.
5. Une opportunité à saisir
L’exemple de Linx montre qu’il est encore possible pour l’Europe de jouer un rôle significatif dans l’écosystème XR. Cependant, cela nécessite un engagement collectif pour dépasser les défis structurels actuels et favoriser l’émergence d’acteurs capables de rivaliser avec les grandes plateformes mondiales.
Pourquoi est-ce important ?
Si la prochaine plateforme remplace réellement les smartphones, l’entreprise qui l’imposera dominera les écosystèmes numériques et les GAFAM eux-mêmes. Derrière l’annonce d’Android XR se cache donc un enjeu énorme : qui contrôlera l’avenir de nos interactions numériques ?
Le lien avec la souveraineté numérique et la cybersécurité
Cette évolution technologique soulève des questions cruciales sur la souveraineté numérique et la gestion des données personnelles :
- Cybersécurité des appareils XR : Ces dispositifs sont hautement connectés et recueillent une quantité massive de données sensibles (voix, environnement, interactions). Cela en fait des cibles privilégiées pour les cyberattaques. Les entreprises doivent garantir des dispositifs sécurisés dès leur conception (approche “security by design”).
- Confidentialité des données : Avec des capteurs toujours actifs (caméras, micros), la collecte de données pourrait atteindre un niveau inédit. La manière dont ces données sont traitées, stockées et protégées doit respecter des normes strictes de confidentialité, comme le RGPD en Europe.
- Contrôle des écosystèmes : Si les plateformes XR deviennent aussi fermées que les écosystèmes actuels (via des stores verrouillés), le risque est une perte de contrôle pour les utilisateurs et une centralisation excessive du pouvoir numérique entre quelques acteurs.
- Souveraineté numérique : Pour les États et les entreprises, il est essentiel de s’assurer que ces technologies restent sous un contrôle local, afin de préserver la souveraineté des infrastructures critiques et des données stratégiques. Cela implique de favoriser des solutions conformes aux régulations nationales et européennes.
En résumé : Ces plateformes XR ne sont pas seulement des innovations technologiques ; elles redéfiniront les règles de notre interaction numérique. S’assurer qu’elles intègrent des standards élevés de sécurité et de souveraineté est crucial pour éviter que la révolution XR ne se fasse au détriment de nos libertés et de notre confidentialité.
Étienne Magro, SRE Whaller
📖 En savoir plus : Souveraineté Numérique
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