4 juillet 2023

Quelles sont les opportunités et menaces sur le plan numérique en France ?

Nicolas Malbec, Capitaine de vaisseau de réserve, dirigeant également les programmes de cyberdéfense au sein de l’École Hexagone, est venu nous présenter son projet de création d’entreprise « Fidelilium » et sa conception de la souveraineté numérique.

 

Quel est votre parcours ?

Attiré à la fois par la mer, l’informatique et le service du pays par une carrière militaire, j’ai rejoint l’école navale à l’issue de mes études et j’ai eu une carrière qui m’a permis d’alterner des postes de commandement à la mer et dans le numérique.

À la mer, j’ai pu participer à de nombreuses opérations sous tous types de bâtiments et j’ai notamment eu l’honneur de commander la frégate Nîvose. Dans les technologies de l’information, ce qui est bien dans la Marine, c’est que nous sommes formés tout au long de notre carrière. J’ai pu passer un master en réseaux de télécommunications, j’ai pu suivre un titre d’expert SSI de l’ANSSI à l’ANSSI. Cela m’a permis d’être en charge de l’entraînement cyberdéfense de la flotte, d’être responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSI) pour l’ensemble de la Marine et d’être directeur de la transformation numérique au sein de la Marine avec un focus très important sur la donnée, la politique de la donnée, la création d’un centre de service de la donnée et d’un centre d’intelligence artificielle maritime. Plus récemment, j’ai été en charge de la planification des opérations dans le cyberespace au sein du commandement de la cyberdéfense (COMCYBER).

 

Pouvez-vous nous présenter « Fidelilium » ?

Le nom de la société est « Fidelilium », c’est un clin d’œil à la ville de Versailles avec « lilium » le Lys, puisque la société aura son siège social dans cette ville. Dans une démarche d’apporter de la confiance dans le numérique, vous retrouvez aussi « fidé » de « fidélise » donc l’ensemble « Fidelilium » ça doit incarner cette excellence dans la confiance numérique.

 

La mission de Fidelilium est de libérer et de sécuriser la vie numérique. Cela veut dire apporter de la confiance là où nous avons tendance à perdre confiance. Et probablement aussi apporter de la cohérence dans un monde numérique qui se complexifie. L’objet sera d’apporter du conseil stratégique, du conseil en cybersécurité, du conseil en transformation numérique et de manière plus générale, en souveraineté numérique. Le tout en allant chercher les standards d’excellence de l’ANSSI comme celui de prestataire en accompagnement de conseil en sécurité des systèmes d’information.

La cible prioritaire pour Fidelilium, ce sont les opérateurs d’importance vitale, les opérateurs de services essentiels et d’une manière générale, les grandes entreprises ou les entreprises qui ont de grands besoins en cybersécurité, qui ont besoin de protéger leurs actifs numériques.

 

Comment expliquez-vous la montée en puissance du thème de la souveraineté numérique ?

Je pense que nous arrivons à un moment de l’histoire du numérique où nous nous posons certaines questions. Nous avions un grand élan enthousiaste quand les solutions numériques sont apparues. Nous sommes souvent allés au plus pratique, au moins cher, au plus diffusé, sans forcément se poser beaucoup de questions sur comment ça marchait, sur qui se cachait derrière telle ou telle solution…

Aujourd’hui, sans que nous ne nous en rendions compte, nous nous reposons sur ces solutions numériques. L’enthousiasme initial doit être un peu modéré. Il est plus que temps de se poser les vraies questions, c’est-à-dire quels sont les États qui sont derrière les solutions numériques que j’emploie ? Quelles sont leurs lois et éventuellement leurs applications extraterritoriales qui s’appliquent ? Comment est stocké ma donnée ? Que fait précisément tel logiciel qui est installé sur mon système d’information critique ?

 

Je pense que cette notion de souveraineté numérique allait arriver à un moment où nous sommes tellement dépendants des solutions numériques, que nous nous posons des questions. Est-ce que je maîtrise vraiment mon destin numérique ? Est-ce que je sais ce que je fais avec ces outils ?

 

Quelle est votre propre conception de la souveraineté numérique ?

La souveraineté numérique est aujourd’hui théorique, nous voulons nous réapproprier les choses, maîtriser ces systèmes d’information. C’est un concept que l’on épouse volontiers, en tout cas sur le plan théorique. Les vrais pratiquants de la souveraineté numérique, se rendent compte que ce n’est pas quelque chose de facile à réaliser.

Nous nous retrouvons dans la situation où nous avons laissé dériver une situation où des compétiteurs ont pu faire des investissements massifs dans les solutions numériques depuis les années 70, ont su développer des formations, des centres de recherche d’excellence, ont su imposer leurs standards et su développer toute une industrie du numérique. Aujourd’hui, pour avoir la maîtrise de nos systèmes d’information, il va falloir beaucoup travailler pour rattraper notre retard.

 

La cybersécurité est-elle une composante majeure de la souveraineté numérique ?

Effectivement, la cybersécurité, si nous rappelons ses 3 piliers qui sont : la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité, un maillon essentiel de la souveraineté numérique. Par exemple, si nous nous situons au niveau d’un État, la confidentialité des informations dans le domaine militaire, est quelque chose d’essentiel. Si nous nous plaçons au niveau d’une centrale nucléaire, d’une entreprise de transport ou d’un système bancaire, l’intégrité des données, c’est juste vital. Pour chacun d’entre nous et pour l’ensemble des acteurs économiques et étatiques, la disponibilité des services numériques est quelque chose d’essentiel parce que sans cela, la vie s’arrête. Nous sommes dépendants de ces systèmes. Maîtriser ces trois piliers : la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité, c’est essentiel en matière de souveraineté numérique. Je dirais qu’en la matière, la France possède un atout non négligeable, car elle a su conserver une filière d’excellence en mathématiques permettant d’avoir une maîtrise des outils cryptographiques. Ainsi la cryptographie va participer à la confidentialité à l’intégrité et d’une certaine mesure, la disponibilité des systèmes.

 

Quelles sont les caractéristiques des milieux numérique et maritime ?

Le milieu maritime comme le milieu numérique, ont déjà la caractéristique de vivre complètement sur l’innovation. Au début de l’humanité, il n’y avait ni bateau, ni ordinateur et d’innovation en innovation, nous avons pu créer des systèmes aussi complexes que des sous-marins nucléaires, lanceurs d’engins ou des ordinateurs quantiques. Deux domaines portés par l’innovation, après deux domaines qui ont connu leur âge d’or sur la liberté de navigation.

Ce sont vraiment des domaines où ce sont les flux que nous considérons et nous pouvons aller naviguer, au gré du vent et au gré des envies. Cet âge d’or est malheureusement révolu dans le milieu maritime où il y a une appropriation de la mer, des zones économiques exclusives qui s’agrandissent et des enjeux géopolitiques très marqués, comme nous pouvons le voir en mer de Chine par exemple, des enjeux économiques liés aux hydrocarbures enfouis sous les mers. Dans le domaine numérique, c’est un peu la même chose, nous pouvons voir des Etats qui se retranchent derrière leur propre Internet. Nous avons le cri de firewall en Chine qui a la capacité d’isoler son réseau. Nous avons le runet en Russie, etc.

 

Chacun essaie d’avoir la maîtrise de son environnement numérique et je pense que c’est très lié à la montée en puissance du champ cognitif dans le cyberespace. Aujourd’hui, il y a des enjeux d’influence énorme, notamment via les réseaux sociaux. L’étincelle qui nous y a fait penser enfin qui nous a fait découvrir la puissance de ces réseaux sociaux c’était le printemps arabe. Mais depuis, nous voyons bien que nous allons de crise en crise et à chaque fois, la dimension numérique, la dimension cognitive dans le cyberespace a toujours un rôle clé.

 

Quelles sont les opportunités et menaces sur le plan numérique en France ?

En matière d’opportunités, elles sont nombreuses puisque nous sommes dans le domaine du numérique sur des technologies qui évoluent et qui changent presque tous les quatre ou cinq ans. Ce que nous voyons arriver de façon massive, c’est la robotique humanoïde, ce sont les technologies du numérique dans l’espace, c’est l’intelligence artificielle et là je pense que dans ces trois domaines, par exemple, la France a de réels atouts. Par exemple, sur la robotique humanoïde, nous sommes à un moment de l’histoire où toutes les technologies existent. Maintenant, il va falloir trouver l’intégrateur de génie qui va donner satisfaction au marché. Pourquoi pas une entreprise française ? En matière de menaces, la principale est de ne pas suffisamment former notre jeunesse à ces enjeux numériques. Il faut dès le collège et le lycée présenter les filières scientifiques comme des filières d’excellence, créer des centres de recherche qui soient compétitifs. En tout cas, si nous ne le faisons pas c’est sûr que d’autres pays dans le monde le feront en investissant massivement dans l’éducation aux sciences de l’informatique et du numérique.

 

Qu’attendez-vous d’une plateforme collaborative ?

La première chose que j’en attends, c’est de pouvoir collaborer, c’est-à-dire une diffusion très large de la solution. Il faut que cette solution soit portable, c’est-à-dire qu’elle soit un peu indépendante du support du device, que nous puissions vraiment l’utiliser en toutes circonstances. Il faut aussi qu’elle soit compatible, il faut quand même pouvoir collaborer avec la personne qui aurait une autre solution. C’est vraiment ma principale attente d’une plateforme collaborative.

 

Un auteur, une œuvre, une phrase qui vous inspirent ?

Dans ces temps où je me lance dans une nouvelle aventure entrepreneuriale, il y a une phrase que j’aime beaucoup qui est du père Laval, qui était un bâtisseur de cathédrales et d’églises dans les îles éloignées de Polynésie française aux Gambier, qui tout seul a construit des édifices extraordinaires en ayant peu de moyens. Sa phrase c’était « le premier geste du bâtisseur, c’est de se retrousser les manches ». Je pense qu’en matière de souveraineté numérique, au-delà des beaux discours, retroussons-nous les manches et je suis persuadé que nous arriverons à accomplir de très belles choses.

 

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