La liberté d’expression est l’un des principaux droits humains fondamentaux, inscrit dans plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains. Ce droit s’applique à la fois hors ligne et en ligne. C’est la raison pour laquelle il a figuré en bonne place sur l’agenda diplomatique ces dernières années. Que ce soit au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ou au Conseil de l’Europe.
En effet, dans quelle mesure les plateformes numériques sont-elles et doivent-elles être liées par la liberté d’expression même s’il s’agit d’entreprises privées ? Cette question est au cœur de la question de la modération des contenus.
Protection de notre liberté d’expression
Plusieurs instruments internationaux garantissent le droit à la liberté d’opinion et d’expression sans ingérence, ainsi que le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par le biais de tout média ou de toute frontière, notamment :
- Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (UNHR, 1948) ;
- Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, 1966) ;
- Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 1950) ;
- Article 13 de la Convention américaine des droits de l’homme (CADH, 1969).
Lorsqu’il s’agit d’appliquer la liberté d’expression à l’environnement en ligne, le principal instrument est la résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la protection de la liberté d’expression sur Internet (2012), qui stipule que « les mêmes droits que les personnes ont hors ligne doivent également être protégés en ligne, en particulier la liberté d’expression, qui s’applique sans considération de frontières et par tout média de son choix ».
Les limites de cette liberté
Indépendamment du rôle fondamental joué par la liberté d’expression dans une société démocratique, ce droit n’est pas absolu et peut faire l’objet de limitations sous certaines conditions. Selon le droit international des droits de l’homme, une restriction à la liberté d’expression doit répondre, cumulativement, aux exigences de légalité, de légitimité, de nécessité et de proportionnalité.
Ainsi, chacun des traités évoqués ci-dessus présente une liste d’objectifs légitimes pouvant justifier une restriction à la liberté d’expression dans son propre système.
Par exemple, le PIDCP et la CADH établissent comme buts légitimes : le respect des droits ou de la réputation d’autrui, la protection de la sécurité nationale et de l’ordre public et la protection de la santé et de la morale publiques.
La CEDH présente une liste plus large, puisqu’elle inclut la prévention de la divulgation d’informations confidentielles et le maintien de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire comme objectifs légitimes supplémentaires susceptibles de justifier une restriction à la liberté d’expression dans le système européen de droits humains.
Naturellement, l’un des principaux problèmes est que les limitations sont ouvertes à de nombreuses interprétations différentes des normes et, en fin de compte, à des implémentations différentes.
Comment contrôler la liberté d’expression ?
Internet, et les médias sociaux en particulier, sont devenus la principale plateforme d’échange d’informations et d’idées dans le monde. Chaque jour, une énorme quantité de contenu est publiée et partagée sur les réseaux sociaux, sur lesquels plus de 4,7 milliards d’utilisateurs sont enregistrés.
En raison de ce flux toujours croissant, les médias sociaux développent des systèmes de modération de contenus afin de contrôler ce que les utilisateurs publient en ligne.
Ces systèmes, humains ou le fait d’intelligences artificielles, peuvent supprimer, signaler ou limiter la portée d’un contenu particulier ou même suspendre ou bloquer les comptes des utilisateurs. Par conséquent, ils risquent d’entraver de manière illégale l’exercice de la liberté d’expression telle qu’elle est garantie par les traités ou les conventions comme nous l’avons vu. C’est déjà ce qui est arrivé dans de nombreux pays. Les autorités gouvernementales, y compris dans des démocraties, ont surveillé les contenus, puis restreint l’accès à certains d’entre-eux. Cela s’appelle la censure.
Dans certains cas, les gouvernements vont jusqu’à fermer l’accès à Internet pour des régions ou même pour tout le pays.
Comment limiter légalement ce droit ?
Il existe un large éventail de justifications, y compris à l’occasion de l’organisation de manifestations, d’élections ou d’examens publics passés à l’université par exemple.
En 2019, dans diverses régions de l’Inde, l’accès à Internet a été interrompu de nombreuses fois en raison de manifestations contre la loi sur la citoyenneté.
En Iran, Internet a été fermé en raison de manifestations contre les réductions des subventions aux carburants qui ont fait grimper les prix pour les consommateurs.
Au Bangladesh, en République démocratique du Congo et au Gabon, l’accès a été suspendu pendant les élections.
En Éthiopie, Internet a été coupé afin de lutter contre la tricherie lors des examens finaux des écoles secondaires nationales.
Les limites de l’intelligence artificielle
C’est l’intelligence artificielle (IA) utilisée pour modérer le contenu en ligne qui présente le plus de risque, en particulier lorsqu’il s’agit de contenu controversé. La raison en est que les algorithmes d’IA n’ont pas la capacité d’évaluer le contexte, de repérer l’ironie ou de mener l’analyse complète qui est nécessaire pour identifier un contenu posant un problème.
Pour cette raison, les systèmes de modération de contenu qui s’appuient fortement ou exclusivement sur des outils d’IA sont plus susceptibles de bloquer ou de restreindre le contenu par défaut. Dans ce cas, ils peuvent violer le droit des utilisateurs de rechercher, recevoir et partager des idées et des informations. C’est ce qu’a souligné le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression.
Par exemple, l’outil d’IA d’Instagram, DeepText, a identifié le mot « mexicain » comme une insulte. Cette confusion est née parce que le mot « mexicain » était souvent associé au mot « illégal », probablement à cause de commentaires malveillants trouvés sur Internet.
Ainsi, la modération de contenu en ligne implique un processus complexe, dans lequel le contexte du contenu publié sur les réseaux sociaux doit pouvoir être pris en compte. Pour cette raison, les outils d’IA utilisés pour la modération de contenu en ligne doivent être conçus et utilisés de manière à respecter le droit des utilisateurs à la liberté d’expression.
Les traités internationaux sur les droits de l’homme créent des obligations juridiques pour les États souverains, mais n’imposent pas directement d’obligations aux entreprises privées, telles que les entreprises de médias sociaux.
C’est la raison pour laquelle il faut être vigilant et se battre pour renforcer le droit à la liberté d’expression en ligne afin de ne pas laisser les réseaux sociaux décider seuls.
Et les sujets sont nombreux : la surveillance étatique des communications ; la protection des droits des citoyens lors des élections ; les discours de haine en ligne ; l’utilisation du cryptage et de l’anonymat ; le rôle du secteur privé et des fournisseurs d’accès numérique ; etc.
Ainsi, sauvegarder la liberté d’expression sur les réseaux sociaux est un enjeu politique, économique et social, comme la liberté de la presse en son temps. Ni plus, ni moins.
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